Second volet des souvenirs d'un spectateur étaplois...

Avec la parution de ce second volet, continuons avec Jean-François Hagneré à parcourir l'histoire et les souvenirs de séances dans les cinémas d'Etaples. 
Aujourd'hui, il s'agit du Cinéma des Familles. 



Cinéma 2

Le cinéma des Familles
En ville, à Etaples, le cinéma concurrent du ciné Pax – celui du « curé » - était le cinéma des Familles. Il se trouvait à l’angle de la rue Maurice Raphaël et de la rue du Général Obert. Il comportait une salle avec un bistrot et une table de billard, dont l’entrée donnait rue du général Obert. L’entrée du ciné se faisait Rue Maurice Raphaël. A l’heure des séances, c’est Marthe, vieille dame aux cheveux gris, aux allures de vieille instit sévère, qui tenait la caisse et vendait les billets. Punaisées sur un panneau, des photos du film, prises par des photographes de plateau, donnaient l’ambiance et le ton du spectacle offert. Dans la salle, du parquet « couinant ». Les places, des sièges en bois, avec accoudoirs du même « métal », comme auraient pu chanter Les Charlots. * Pour s’asseoir, on rabattait une plaque de bois tournant autour de son axe. Le grand confort… Je suis allé une fois au balcon, inconfortable et étroit. Au premier rang, sueurs froides à l’idée de voir la rambarde se faire la malle…
Trois dates marquantes :
En fait, j’ai peu fréquenté ce lieu… Mais c’est dans cette salle que j’ai assisté à la projection de « Au risque de se perdre », l’histoire d’une religieuse jouée par Audrey Hepburn, au summum de sa splendeur, de sa grâce naturelle : De quoi faire fantasmer un adolescent sur une « bonne sœur »… Un film qui avait échappé au Ciné-Pax, mais il faut dire qu’en fin de parcours, dans la brousse, Audrey, la nonne pas conne, met les voiles - Il faut comprendre ici qu’elle se défroque… Après tout, il y a mille façons d’aimer… Et en prenant cette décision, qui n’aurait pas plu au doyen de la paroisse, elle laissait quelques espoirs à ses admirateurs, dont certains étaient dans la salle… Elle avait supplanté définitivement la gentille sœur Marthe qui m’aimant-ait lors de ma deuxième année de maternelle.
Quand j’étais môme, comme le chantera plus tard Eddy Mitchell, cette salle programma un film sorti en 1952, une opérette, auquel l’homme de Mexico, Luis Mariano, prêtait son concours. Pépé – Grand-père maternel -, proposa de m’emmener suivre la projection, en compagnie du « cousin Michel » - Delcloque, marié pendant son passage sous les drapeaux à une charmante allemande, Yvonne. Marthe, le Dri-in-in Drin-in-in… de la sonnette d’appel… Nous nous installons, puis attendons l’arrivée d’autres clients… Autant attendre Godot... Personne d’autre ne pointa le bout de son nez ce soir-là… Mariano déclara forfait, dépêchant Marthe pour nous signifier qu’une séance ne pouvait être lancée pour un si maigre public, fût-il de qualité… Etonnement à notre retour rue du Chœur… Pépé lança à la famille réunie : «  Nous n’en avons pas eu pour nos cinq sous de violettes » Et ce nouveau nom de baptême de l’œuvre « marionesque », dû à Pépé, est resté dans nos mémoires…
Sorti en 1959, le film de Claude Autant-Lara, La jument verte fit du… foin. A l’époque, la censure catholique avait de l’influence. Et pour celle- ci, La jument en question caracolait au dernier échelon de son classement : les films à interdire, risquant de nuire gravement à la santé mentale des spectateurs de moins de 21 ans. Je n’avais aucune chance de le voir à cette époque, même si j’avais été un surdoué de la libido. Le doyen mettait sa main devant ses yeux, doigts écartés, afin de ne pas voir la jument en chaleur apparaître sur la feuille de programmation du Ciné-Pax. Le cinoche des Familles, lui, s’était lancé hardiment dans l’affaire, mais un peu trop vite sans doute dans une ville à majorité catho… Au dernier moment, la séance programmée fut annulée… Bref, nous entendîmes beaucoup parler de la jument, mais nous ne la vîmes jamais. Nous dûmes nous contenter de celle des Macquinghem, qui un jour, pour une saillie, fut montée par un superbe étalon…Finalement, les autodidactes qui ont la volonté de s’instruire trouvent toujours le moyen de le faire. Je ne sais à quel bout de fesse ou de sein, les Etaplois, pourtant vaillants dans le domaine la « culbute », ont bien pu échapper ce soir-là. Aujourd’hui, les productions « pornos », relèguent les films les plus osés de B.B. au niveau de gentils contes de fées… Il en est qui « entendent toujours siffler le train »,** mais, personnellement, pour le reste de ma vie, j’entendrai tinter la sonnette de Marthe…

*Les Charlots : D’abord musiciens du chanteur Antoine en tant que Les problèmes, ils devinrent acteurs de pantalonnades à succès sous le nom des Charlots.
** Richard Anthony entendit, et nous avec lui, siffler ce train toute [ sa ] vie.

Hagnéré Jean-françois (28/03/2015)  Extrait de Kaléidoscope ou Une egothérapie


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