Le cinéma Modern' d'Arques
Arques. Première Guerre mondiale. La ville est alors un immense cantonnement de l'armée britannique, à proximité du front. Alors qu'ils résident dans des hôtels, ou pensions boulevard de la Liberté, les officiers de sa Gracieuse Majesté ont l'idée de réquisitionner la salle des fêtes toute proche, propriété de Mme Berquer, également gérante d'un restaurant. L'idée ? En faire un lieu de projections cinématographiques pour la troupe. Films et actualités se succèdent pour la plus grande joie des soldats du monde britannique. 1918 : la paix. Départ des anglais qui laissent le matériel de projection. Retour à la civile pour le soldat Benjamin Bart qui épouse la petite-fille de Mme Berquer. Arquois, mais né à Racquighem le 27 mai 1896, Bart est le dernier d'une grande fratrie de 8 frères dont le père est menuisier. Il a bravement combattu au front, revenant en partie victime des gazs allemands. Alors qu'il n'avait aucun projet professionnel, peut-être transporteur, Benjamin saisit l'opportunité de la salle équipée. Voyant le succès des projections, il décide de reprendre l'affaire, profitant dans la salle d'une estrade et d'un piano. L'intérieur est aménagé avec des bancs et sièges basculants, des claquettes en bois avec simili cuir sur les sièges et un grand foyer au milieu de la pièce. Benjamin a deux fils, Jacques et Emile, qui donnent des coups de main au travail dans la salle. Emile se souvient par exemple de l'émoi face au film « les gueules cassées ». Cette production a du toucher Benjamin, acteur de la Grande Guerre. L'appareil employé est un Pathé SuperRural. Pendant longtemps, Bart va resté en 16 mm avant de passer en 35 mm. Son principal fournisseur est la Maison Pathé. Les films venaient de Lille et Benjamin Bart se rendait chaque vendredi dans la capitale des Flandres afin de se procurer des bobines. Il partait le vendredi matin pour revenir dans la nuit, voir même le lendemain matin. Outre la projection de films, le cinéma Bart propose également des scènes d'actualités locales. En effet, Benjamin possède une caméra manuelle et film les événements locaux : sports, carnavals, défilés,... Il y a alors un monde fou pour ces projections. Grand orchestrateur des plaisirs cinématographiques arquois, Benjamin devient une personnalité dans la ville, un véritable notable que son comportement un brin noceur et bon vivant accentue.
1939 : Benjamin Bart est mobilisé, rappelé à Saint-Quentin. André Sacépé aide alors à la projection.1940 : 300 places, salle jugée en bon état par l'occupant, avec une surface de 180 m2, 20 mètres sur 9. La salle va connaître un monde fou pendant l'occupation. Il est souvent nécessaire d'aller chercher des sièges dans le café d'à côté. Les gens sont souvent debout pour assister au spectacle. Libération. 1948 _ 1949, Benjamin Bart décide de reconstruire entièrement le cinéma, avec une nouvelle entrée rue du gaz alors qu'auparavant, on y accédait par le boulevard de la Liberté. Ces travaux ont été considérables : refaire entièrement une salle de cinéma. Maçonnerie, menuiserie,...il faut tout faire. Jeune ouvrier chez Durand, Emile donne un coup de main à son père. Pour faire une vraie salle de cinéma, les Bart procède à une surélévation progressive du fond de la salle pour que tout le monde profite du spectacle. Il a fallu baisser une bonne partie du plancher, creuser, et remonter l'arrière de la salle. Travaux importants et pénibles, faits par Benjamin, son frère Lucien et son fils Emile. On aménage un comptoir pour la confiserie. On accède à la salle par une porte à double battant. La cabine se trouve au-dessus des portes à battant. Il y a maintenant deux projecteurs avec deux fenètres de projection pour, dorénavant 2 à 3 bobines par films et les actualités. Le système de chauffage se fait dorénavant à air pulsé. Les sièges en bois ont laissé place a des fauteuils rembourrés. Il y a parfois des bals, des prestidigitateurs pendant les entractes. Benjamin habite à une cinquantaine de mètres de la salle. Bart noue de très bonnes relations avec les salles des communes environnantes, notamment avec Eloi Rémond de Wizernes. La salle de cinéma est alors un véritable aimant. Ainsi, Mme clément avec son panier vend des confiseries, une baraque a frites en provenance de Saint-Omer se place à l'entrée, au coin et les deux bistrots des environs immédiats font systématiquement le plein. Les séances ont alors lieu le samedi soir, le dimanche après-midi et le dimanche soir pour un film par semaine, ce qui donne, lorsque la salle est pleine, et elle l'est souvent, plrès de 900 spectateurs pour trois séances, 1200 lorsqu'il y a séance le lundi soir, ce qui arrive parfois.
Benjamin tombe gravement malade. Longtemps abandonnée, la salle a été racheté par la boulangerie voisine pour une extension du commerce. Le bâtiment est ensuite revendu à la cristallerie qui décide de l'abattre afin d'en faire un parking.
Légende des documents : deux photographies exceptionnelles provenant de la collection privée d'Emile Bart, fils de Benjamin Bart. En haut, la carte professionnelle de Benjamin. En bas, Benjamin surveille l'avancée des travaux lors de la reconstruction du Modern' à la fin des années 40. Encore un grand merci à Emile Bart sans qui cet article n'aurait jamais vu le jour !!!
Commentaires
Enregistrer un commentaire