Paul Desmarets, pionnier du cinéma douaisien





































Il est impossible de s'intéresser aux débuts du spectacle cinématographique à Douai sans évoquer la personnalité et le rôle de Paul Desmarets. Ce dernier s'est déjà largement investi dans les projections d'images, notamment dans des conférences. En effet, avant le triomphe du cinéma, de nombreuses conférences avec projections lumineuses à l'aide de la lanterne magique, sont proposées à la population, et Paul Desmarets est bien souvent responsable de ces projections sur Douai et environs. En 1896, Desmarets a 42 ans. C'est déjà une personnalité respectée et influente de Douai. Fils de conseiller municipal, conseiller municipal lui-même sous l'édilité de Carles Bertin, responsable du tirage du feu d'artifice, il fait parti du cercle douaisien, cotoyant Georges Demenÿ, l'un des précurseurs du cinéma, le poète patoisant Jean Merlin, ainsi que les salons douaisiens. D'un milieu aisé, il a reçu une éducation hors du commun qui le pousse naturellement à s'intéresser aux découvertes scientifiques et techniques de cette fin de siècle : la photographie, l'électricité, et tout naturellement le cinématographe. Il est ainsi le premier à Douai à avoir l'éclairage électrique. Il s'intéresse également à l'aérostat et fréquente le célèbre Tiberghien, alors présent dans toutes les fêtes publiques du département. Son ballon et son envol de la place publique sont alors le clou de la fête. Paul Desmarets est donc un précurseur. La nouveauté l'attire et il se devait donc de rencontrer le cinématographe. Féru de photographie, Paul Desmarets n'a pu résister à la nouvelle invention. Il est d'emblée émerveillé par les possibilités de cet appareil et cherche à s'en procurer un exemplaire. On ne sais malheureusement quand eut lieu le premier contact entre le douaisien et le cinématographe : sait-il rendu à Paris au Salon Indien ? A-t-il assisté à la représentation Lumière de Douai ? De Lille ? Avant qu'il ne devienne exploitant de la première salle sédentaire de Douai en janvier 1908, Paul Desmarets apparaît de nombreuses fois dans les colonnes des journaux pour des représentations cinématographiques itinérantes. Avec son appareil de projection, il va proposer de 1897 à 1907, des séances dans des lieux et lors d'occasions diverses. Il est ainsi en contact avec des publics différents et ces expériences lui permettent de comprendre la place croissante qu'a pris le cinéma et la nécessité de trouver un lieu fixe.
C'est le 3 mai 1897, lors d'un spectacle local, que Paul Desmarets fait fonctionner pour la première fois des vues cinématographiques. Il semble ainsi être l'un des premiers acheteurs des appareils Lumière, mis en vente pour la particuliers à partir du 1er mai 1897. Desmarets s'est ainsi certainement rendu à Paris, ou à Lyon, dès le 1er mai ou il fait l'acquisition de l'appareil. Après avoir compris le mécanisme et la manipulation, il peut proposer, dès le soir du 3 mai, des projections. Après cette première représentation, Desmarets effectue une série de conférences sur les inventions merveilleuses où il effectue de nombreuses expériences sur le phonographe, les rayons X et le cinématographe. Le Journal de Douai note ainsi en mars 1898 que « notre sympathique concitoyen est devenu le plus fougueux projectionniste de tout l'arrondissement ». Les vues cinématographiques de Desmarets sont également utilisées pour illustrer des conférences, comme sur Pompéi proposée en avril 1904.
En juillet 1903, le grand divertissement proposé au public lors des festivités de Gayant est une séance de cinématographie en plein air, place Maugin, de 21 à 22 heures avant un grand bal. Une somme de trois cents francs est offerte par la municipalité comme subvention. Cette expérience est renouvelée en septembre 1905. Douai n'est pas la seule à connaître ces deux projections exceptionnelles. En effet, Desmarets propose en mai 1902 une séance de projections en plein air sur la Grande Place de Béthune pour la fête communale du 17 mai avec « 50 projections », mais « beaucoup de curieux venus pour cela ont dû retourner bredouilles », relate La Gazette de Béthune. « En effet, le moteur après avoir été difficilement mis en marche a brusquement cessé de fonctionner. Les curieux, déçus dans une longue attente, ont regagné leurs pénates, songeant à enfuir leurs regrets dans un sommeil réparateur. »
Le douaisien propose également des vues lors de soirées spéciales. Il présente ainsi en avril 1898 et en avril 1899, deux soirées cinématographiques, au bénéfice des pauvres, ainsi qu'une soirée de divertissement en mai 1905. Cette dernière, proposée un peu à la hâte, n'est pas un succès. Mais Desmarets, « grand amuseur des foules » est l'attraction principale de trois grandes fêtes douaisiennes : l'Exposition Nationale de Douai à Château-Gayant en octobre – novembre 1901, ou « Mr Desmarets […] a déclaré être prêt à divulguer à nouveau, au premier appel, les mystères de son cinématographe », mais aussi la fête des Bains-douaisiens en décembre 1903 et la fête laïque sur la place Carnot en juin 1904 où l'affluence fut considérable, près de 3000 personnes. Lors de la séance de Château-Gayant, le Journal de Gayant nous offre un compte-rendu : « Nous remarquon beaucoup de familles, beaucoup de femmes avec leurs bébés. A 6 heures du soir, M. Desmarets commande la nuit, et sur le rectangle lumineux de son écran, il nous fait assister à une série de projections animées du plus merveilleux effet : vues de montagnes, de glaciers, vues de l'Exposition, scènes comiques et pittoresques. La bataille des oreillers, d'une drôlerie achevée, a les honneurs du bis, pendant que le moteur Wouters ronfle et trépide sans discontinuer. » Une autre soirée spéciale est la revue « Douai débordé ». Fin avril 1897, le théâtre municipal propose une revue locale caustique et pleine d'humour en dix-huit tableaux mêlant saynétes, ombres chinoises, chants-danses, « due à la collaboration de trois de nos plus spirituels concitoyens : Jean de douai, Max hilaire et l' « Amiral » Desmarets », dixit Le Journal de Douai qui surnommé bien souvent affectueusement Desmarets l'Amiral car il possédait un bateau amarré à Douai. C'est lors d'une des dernières représentations de cette revue, le lundi 3 mai qu'est annoncées « pour cette soirée des projections nouvelles »; Le journal de Douai est plus précis puisque « l'on parle des vues douaisiennes présentées au cinématographe par M. Desmarets »; Parmi ces tableaux, la « sortie de la messe de midi à l'église Saint-Pierre » est présentée comme étant « un clou sensationnel ». Ce n'est pas un hasard si cette scène religieuse est la seule citée. Symbole de la vie courante, ce « film » propose également la vue d'un monument connu de tous, une église. Le public de la revue, issu surtout des classes moyennes et aisées, s'émerveille, s'étonne et prend plaisir à se voir sur l'écran.
Enfin, dans sa quête de recherche d'un lieu, d'un local ou d'une occasion pour proposer des séances, Paul Desmarets s'installe dans l'arrière salle du Café Jean, au 33 de la place Carnot, en août et octobre 1905 où il propose, à partir de 21 heures, de nombreuses vues dont certaines en couleurs : l'amant de la lune, la fée aux fleurs, la ruche merveilleuse, la course aux maris,...


En janvier 1908, l'incontournable Desmarets ouvre la première salle fixe à Douai, l'Omnia, qui s'installe dans les locaux de l'ancien cercle des orphéonistes, situé sur une artère commerçante de la ville. Le succès est complet, aidé par les articles élogieux des hebdomadaires douaisiens. Il est difficile de déterminer quand et comment Desmarets est entré en contact avec la firme Pathé ? Un courrier du douaisien ? Du démarchage de Pathé ? 22 mois plus tard, en novembre 1909, la municipalité s'inquiète même de la désaffection des tournées ambulantes de cinéma, ce qui affectent les finances locales, avec une perte de trois milles francs dans les revenus de la ville. L'échange est vif au conseil municipal du 16 novembre 1909, le maire Charles Bertin interpellant le conseiller municipal Desmarets en ses termes : « Nous ne disons pas que c'est vous . Vous avez absolument le droit d'avoir une entreprise. Mais nous avons constaté que c'est depuis ce temps là que les cinémas ne viennent plus au cirque. » A une date indéterminée, Desmarets devient même le correspondant régional des actualités Pathé, sillonnant la région avec sa De Dion-Bouton et son chauffeur Léon Noiret.
Pionnier de l'exploitation locale, Paul Desmarets a tenté d'imposer ses spectacles cinématographiques, alors que la concurrence foraine et ambulante commençait à arriver à Douai et dans le bassin minier. Directeur de la première salle fixe de Douai, il a su populariser le spectacle cinématographique. Cette salle a souffert pendant l'occupation allemande de la première guerre mondiale. Mais, lors de la libération, les anglais y installent une cantine. Après guerre, Desmarets, dont malheureusement l'activité ni le lieu de résidence ne sont connus pendant le conflit, reprend sa salle qu'il dirige jusqu'à sa mort annoncée dans Douai Républicain du 14 novembre 1923.
En hommage à son action et à son rôle, la ville de Douai a donné le nom de Paul Desmarets à la salle de cinéma de 120 places, classé Art et Essai de l'Hippodrome municipal.

Sources :
Alexandre Lefebvre, « Un douaisien précurseur méconnu », revue de l’Amicale de la Police du District de Douai, 1982, pp. 37-41
Les hebdomadaires douaisiens, notamment Le Journal de Douai, de 1895 à 1914, disponibles à la Bibliothèque municipale de Douai

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