Un très bel article sur "Bienvenue chez les ch'tis" dans la Croix
Cet été le quotidien La Croix revenait dans une série estivale sur les lieux "mythiques" du cinéma. Parmi eux, on retrouve... Bergues. La journaliste Juliette Redivo revient dans la ville pour y voir ce qu'il reste du film aujourd'hui. Un article excellent auquel votre serviteur a modestement participé...
C’est à Bergues qu’a été tourné « Bienvenue chez les Ch’tis », le plus gros succès du cinéma français. Sept ans après la sortie du film, la petite ville a presque retrouvé son calme.
«Rappelez-vous, c’est ici que Dany Boon et Kad Merad ont tourné la célèbre scène de la pause pipi !», annonce gaiement Brigitte Martin, la guide de l’office de tourisme de Bergues, aux participants du « Ch’ti Tour », le circuit touristique qui présente les lieux de tournage du film Bienvenue chez les Ch’tis.
Tout excités, Marie et Rémy, frères et sœurs et incollables sur le film, se remémorent la fameuse scène et échangent quelques répliques. Du haut de sa fenêtre, rue du Marché aux Poissons, un riverain assiste à ce déluge de souvenirs. Son voisin de palier, un peu lassé, ferme rideaux et stores. Une journée comme une autre à Bergues.
En ce lundi de juillet, on y croise plus de touristes que de Berguois. Rien d’inhabituel, depuis la sortie de Bienvenue chez les Ch’tis en 2008. Dans cette petite ville de près de 4 000 habitants, qui a servi de décors au long métrage, on les compte par centaines. Le tourisme a été multiplié par 5 et représentait 93 % du chiffre d’affaires de la ville en 2009. Pour la première fois, les 193 marches de l’escalier du beffroi étaient embouteillées en raison des 36 000 montées annuelles.
UN AFFLUX DE TOURISTES QUI ENDOMMAGE LE BEFFROI
Ce monument de cinquante cloches, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2005, ne réunissait que 2 000 personnes à l’année. Et le beffroi s’en ressent. « L’escalier fatigue. Ce n’est pas encore trop grave, mais la charpente du beffroi est malade », s’inquiète Jacques Martel, le carillonneur officiel de Bergues depuis 1999, avec un bloc de béton dans la main.
Ce matin encore, il a ramassé des morceaux de l’escalier un peu partout. L’une des conséquences de cet afflux. « Le film nous a fait un bien colossal, 85 % de nos visiteurs l’ont vu. Bergues est bien sortie de sa léthargie. Dire qu’avant, il fallait une notice pour trouver la ville… », se remémore avec amusement le carillonneur.
La vie et le commerce ont été entièrement chamboulés. À tel point que les magasins ont dû embaucher du personnel, tant les produits du terroir, rendus célèbres par Dany Boon, sont demandés. Le maroilles, la saucisse et le fromage de Bergues sont en haut de la liste.
DES VENTES DE MAROILLES MULTIPLIÉES PAR TROIS À LA SORTIE DU FILM
« À la sortie du film, nous vendions trois fois plus de fromages. Même nos stocks ne suffisaient plus : il y avait la queue en dehors de la boutique ! », se souvient Nathalie Herbin, une employée des Saveurs fromagères, qui précise fièrement que c’est elle qui a servi Kad Merad en juin 2015, alors qu’il y faisait quelques courses en vacances.
Dans une boucherie à quelques rues de là, le commerçant et éleveur de bovins Hervé Vermersch a eu bien du mal à supporter cette soudaine marée humaine qui encombrait autant les rues que les parkings. « Mon chiffre d’affaires était en baisse pendant les deux premières années. C’est normal, mes habitués ne pouvaient plus se garer. Bergues est maintenant plus tranquille, l’engouement autour du film est passé », annonce l’éleveur, non sans cacher sa joie.
Sept ans plus tard, « l’effet ch’ti » s’estompe en effet. Les touristes ont diminué de moitié. Les commerçants retrouvent peu à peu le calme d’autrefois. Acheter les produits dérivés du film, ça n’intéresse plus vraiment. L’office de tourisme, devant lequel on faisait la queue même les jours de pluie, a enlevé la plupart des affiches en l’honneur du long métrage. Ingrid Baillieul, en charge du bureau, a parfois même du mal à rassembler les dix personnes du « Ch’ti Tour ».
UNE VILLE AUX MULTIPLES RICHESSES HISTORIQUES
Un minimum nécessaire pour faire la visite. « Le Ch’ti Tour, je m’en fiche un peu, j’ai vu le film il y a longtemps. Nous voulions absolument voir le concert de carillon avec mon mari. Je me rends compte que Bergues est une ville bien plus jolie que dans le film », avoue Nadine Bonaventure, fascinée par la technique ancestrale du carillonneur.
Derrière eux, le jeune Elliot et ses parents ne sont pas là non plus pour le film. Lui, il retiendra surtout de cette journée la tête géante du poète Alphonse de Lamartine, ancien député et figure emblématique de Bergues, qu’il a croisée en montant l’escalier étroit du Beffroi.
Forte de sa notoriété, Bergues vole désormais de ses propres ailes. « On est une vraie ville touristique maintenant », lance avec fierté Jacques Martel. Bergues étonne. D’abord, il y a ces sublimes fortifications datant du XIIIe au XIXe siècle, aussi absentes à l’écran que n’est présente dans la ville la célèbre baraque à frites du film. Chacune des entrées de Bergues est une grande porte majestueuse, toutes classées monuments historiques. Ensuite, il y a les ruines de l’abbaye Saint-Winoc détruite en 1789, une bibliothèque qui abrite 72 manuscrits datant du XIIe au XIVe siècle ou encore un musée construit sur les plans de l’architecte de la Renaissance Wenceslas Cobergher.
DE RARES TRACES DU FILM DANS LA VILLE
Bergues est chargée d’histoire. Mais surtout, ici, on ne parle pas chtimi. On est Flamand. « Bergues a une forte identité flamande, marquée par sa gastronomie, sa bière et ses vieilles maisons. Vous n’êtes pas dans une zone sans caractère et les touristes recherchent désormais cette authenticité. On constate une nouvelle forme de tourisme plus intelligente, qui est là pour comprendre et connaître l’histoire, pas pour consommer le soleil », constate Freddy Dolphin, directeur de l’agence Nord Tourisme, chargée de la promotion de la région.
Le réalisateur, qui ne s’attendait pas à un tel engouement, a fait détruire une grande partie des décors. Dans les rues, il ne reste que quatre traces visibles du film : une citation au Café de la Poste, une plaque commémorative et deux autographes jaunissant dans une vitrine. « Les gens passent à autre chose. En 2008, on était en haut de la vague, nous essayions de l’entretenir en mettant en avant le patrimoine, pour qu’elle se tasse doucement », ajoute le carillonneur.
La ville prépare tout de même une nouvelle exposition autour du film, avec les maigres éléments de décors qu’elle a pu rassembler et offerts par l’équipe du film : la doudoune, le vélo du postier ou l’intérieur de la cuisine du personnage de Line Renaud. La ville fera également partie d’un circuit en préparation, qui passera sur tous les lieux de tournage du Nord.
SEPT ANS APRÈS, DES NOSTALGIQUES CONTINUENT DE VENIR
Car il y a encore des nostalgiques. Hervé Defossez, de passage à Malo-les-Bains, en est ainsi à sa deuxième participation au « Ch’ti Tour ». Les Italiens Gianluca Sansoldo et sa compagne, en vacances près de Paris, n’ont pas hésité à faire le déplacement. « On a beaucoup aimé le film, la version italienne est très réussie. On devait venir ! », racontent les seuls étrangers du groupe.
Que ce soit au pied du Beffroi, devant la boutique de lingerie Passion où va se cacher Kad Merad, à la vraie Poste de Bergues et à la fausse poste qui a servi au tournage, cette visite atypique de 1 heure 30 est bon enfant. Chacun y va de son anecdote ou de sa boutade. Les souvenirs un peu embrouillés des parents, qui confondent la « scène de la bagarre » avec la « scène de la plage », agacent Rémy et sa petite sœur Marie. Les deux répondent comme des petits chefs aux questions de la guide. « On a regardé le film hier soir, on a triché », avoue le jeune garçon.
LES CH TIS DU FILM AU SUCCES PLANETAIRE
En attirant plus de 20 millions de spectateurs, « Bienvenue chez les Ch’tis » est le plus gros succès du cinéma français et attise toujours les convoitises étrangères.
Le 20 février 2008, Bienvenue chez les Ch’tis sort en avant-première dans 64 salles de cinéma du Nord-Pas-de-Calais. Il deviendra le film le plus vu du cinéma français, mais ça, Dany Boon lui-même ne le sait pas encore. En une semaine, son long métrage effectue le meilleur démarrage dans la région.
Moins d’un mois après sa sortie nationale dans 788 salles, au lieu des 400 initialement prévues, il dérobe à La Grande Vadrouille son titre du plus gros succès au box-office pour un film français avec près de 17 millions de spectateurs. Il totalise désormais 20 489 303 entrées. Seul Titanic (20 758 887 entrées) résiste toujours à la déferlante ch’ti.
« LE FILM A EU UN EFFET DE CARTE POSTALE »
« Hein ! », « Biloute », impossible d’être passé à côté de ces mots et expressions qui rythment le film. La comédie relate les aventures d’un fonctionnaire méridional de la Poste (interprété par Kad Merad) muté à Bergues, dans le Nord-Pas-de-Calais, où il fait la rencontre des Ch’tis.
Le patois du Nord devient en quelques semaines un phénomène national, entendu jusque dans le sud de la France. La région est alors la nouvelle destination touristique en vogue, tant le film a cassé certains clichés qui lui faisaient défaut. « Le film a eu un effet de carte postale pour toute la région. Maintenant, chaque ville veut son Bienvenue chez les Ch’tis», indique Olivier Joos, blogueur du site Cinémas du nord et spécialiste du cinéma nordiste.
DIFFUSÉ DANS 34 PAYS
Les décors et la culture nordiste se retrouvent jusque dans la Palme d’Or : La Vie d’Adèle ou le récent succès Discount. Bienvenue chez les Ch’tis a eu le privilège d’être projeté au palais de l’Élysée. En 2011, le film sort dans 34 pays : au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie, où une adaptation en deux parties, Benvenuti al Sud, est réalisée.
« Cette comédie populaire pourra-t-elle marquer des générations comme La Grande Vadrouille ? Pourra-t-on seulement encore en rire dans vingt ans ? », interroge Olivier Joos. Il n’existe aucun précédent pour dire le contraire…
Juliette REDIVO (à Bergues)
La Croix du 12 août 2015
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