Le Caméo de Wizernes

Le Caméo de Wizernes est l'œuvre d'une vie, l'œuvre d'un homme et d'une famille : Eloi Rémond et la famille Rémond
Il est difficile de déterminer ce que Eloi faisait avant la seconde guerre mondiale. Une étude généalogique plus poussée complétée par une lecture attentive des journaux de l'entre-deux-guerres aux Archives départementales permettraient peut-être de répondre à cette interrogation. Peut-être tenait-il déjà le cinéma de Wizernes ? Mais la légende familiale, rapportée par son cousin, veut par exemple que Eloi ait été impresario à Paris quelques mois seulement. Il est en tout cas certain qu'en 1939, juste avant le déclenchement des hostilités, il gère la salle de Wizernes. Né le 14 juillet 1911, il a alors 28 ans en 1939. En effet, mobilisé, on sait qu'il laisse la gestion d'un cinéma à son épouse Raymonde, née Vannobel. La liste des salles de cinéma demandée aux autorités par l'occupant allemand en juillet 1940 fait mention du cinéma de Wizernes et de la famille Rémond comme gérant. L'épouse d'Eloi va donc tenir l'établissement jusqu'à l'arrivée des allemands en mai 1940. Retenu prisonnier, Eloi réussit à s'évader du camps à une date indéterminée, traverse la France et part se réfugier en Algérie. Il fait alors venir vers l'Algérie Raymonde et leur fils unique Frédo. Il ne reste rien de ses pérégrinations qui ont dût être bien difficile. A la libération, la petite famille revient en 1945 à Wizernes, pour se lancer, à nouveau, dans l'aventure du cinéma. Le bâtiment qui occupe alors la salle de cinéma appartient à Georges Denèkre. Ce premier Caméo, qui semble, d'après d'anciennes cartes postales d'avant guerre se nommer le Cinéma des familles, occupe alors l'emplacement de l'actuel supermarché du centre-ville Cocci Market. Ce cinéma a-t-il été touché pendant la guerre ? Est-il abimé ? Il semble que non. A une date indéterminée, cette salle a ensuite été rasée, probablement à cause de sa vétusté que l'on devine sur des cartes postales anciennes, et l'emplacement est donc occupé aujourd'hui par une moyenne surface commerciale. Denèkre, qui réside quasiment face à ce premier cinéma, loue donc le bâtiment aux Rémond. Wizernes, durement touchée par les terribles bombardements alliés afin de détruire la Coupole d'Helfaut toute proche, se reconstruit après guerre. Eloi propose alors des séances de cinéma ainsi que des spectacles patoisants. Simons et Line Dariel sont ainsi venus deux fois dans la salle wizernoise.
Après un différend sérieux avec le propriétaire, Eloi Rémond décide d'ouvrir une nouvelle salle, sur un terrain arboré qu'il vient d'acheter, à une centaine de mètres du premier cinéma, vers le centre-ville. La salle est entièrement à construire. Tout se fait à la main : Eloi fait les plans, la famille et les amis aident et donnent un coup de main, en faisant même les parpaings par exemple. La famille fait ainsi elle-même la salle de cinéma, le café, et l'appartement au dessus de la salle, qui se veut alors très moderne. Un podium est installé pouvant transformer le cinéma en salle de bal avec aussi des tables pour servir à boire. La construction est rapide et l'ouverture a lieu pour la ducasse municipale de septembre, au tout début des années 50, afin de profiter des bals, qui étaient alors inhérents aux ducasses et festivités. Le bal inaugural du dimanche soir fait alors 800 entrées. Il y a ensuite de nombreux bals lors des ducasses en début de semaine : bal le lundi, bal-apéritif, concert municipal,... On plaçait, lors de ces bals, les sièges autour de la salle, pour laisser la place aux danseurs. Le mardi, il y a deux séances de cinéma. Le surplus de fauteuils est alors placé dans une remise qui servait de vestiaire. C'est avec un système rapide d'ouverture-fermeture basé sur des tringles au sol que la direction peut facilement retirer et remettre les fauteuils de cinéma. Le premier film que propose le Caméo est « Pour qui sonne le glas » avec Gary Cooper et Ingrid Bergman, film de 1943 qui arrive alors seulement sur les écrans français. Les projections se font en 16 mm. Bals et cinémas s'enchaînent avec parfois du cinéma itinérant dans les communes environnantes. Eloi Rémond a également proposé dans sa salle du Caméo la première élection de Miss Artois, lors d'un bal. C'était une première dans le secteur. Beaucoup de commerçants de Saint-Omer ont même parrainé cet événement. Cela a même eu des répercussions dans la commune car cet événement ainsi que certaines affiches représentaient une atteinte à la moralité pour certaines personnes influentes de l'époque. Eloi Rémond, qui a la réputation d'être un homme ouvert, a souvent eu ainsi le goût de la provocation, essayant de lancer des débats sur la morale et la société. Ainsi, le film « Clochemerle », sorti en 1948 avec Saturnin Fabre, interdit, on ne sait pourquoi, dans les cinémas de Saint-Omer, a été projeté à Wizernes. Eloi a fait de la publicité pour ce film à Saint-Omer, attirant du monde, pour que les audomarois viennent à Wizernes voir ce film. En relation avec des impresario lillois, Eloi Rémond fait venir à Wizernes un orchestre anglais, des chanteurs reprenant des airs de Luis Mariano, un danseur noir de claquettes, des danseuses parisiennes style french cancan. Eloi a même fait tourner ces dernières danseuses dans d'autres salles du secteur pour rentabiliser son investissement. Le Caméo de Wizernes a ainsi proposé de nombreuses activités autres que le cinéma. Il y avait bal au Nouvel An, à l'Ascension, au 15 août, et pour d'autres événements. Le bar attenant au cinéma n'ouvrait que lors des séances de cinéma ou lors des bals. Maurice Hermetz, cousin d'Eloi Rémond, se promenait dans la salle pour vendre des bonbons en sachet. Frédo parti au service militaire, c'est donc son cousin plus jeune, Maurice Hermetz qui colle les affiches, apporte les programmes, distribue les prospectus dans les boites aux lettres des environs, à Helfaut, Esquerdes,... Maurice est alors un véritable homme à tout faire. Il y a alors près de 6 personnes qui travaillent ainsi, au début des années 50, dans le cinéma, lors des grandes occasions bien sur. Directeur, Eloi s'occupe aussi de la projection, remplacé ensuite par Frédo. Ayant le sens du commerce, Raymonde gère l'ensemble, tient les affaires, la caisse, le café,... Les prospectus et programmes se font aussi à la maison.
Maurice Hermetz et Frédo Rémond, de cinq ans son ainé et fils de son cousin Eloi, ont également fait du cinéma itinérant. Le dimanche après-midi, ils partent à Ouve-Wirquin. Le propriétaire de la salle de cette petite commune est M. Lion qui tient également un café-restaurant. A côté de ce dernier, il y a une salle avec des fauteuils fixes et un écran. Maurice et Frédo arrivaient avec tout leur matériel : leur projecteur, l'ampli, la billetterie et la confiserie. Frédo est à la projection alors que Maurice s'occupe de la billetterie et de la confiserie. La salle était complète tous les dimanches après-midi. Après Ouve-Wirquin, Frédo et Maurice partent ensuite pour la soirée vers Moulle. La salle, qui avait fauteuils fixes et un écran, se trouvait en haut de Moulle, à côté d'un café. Le lundi ou mardi, les deux cousins partent vers Zudausque, pour une séance le soir dans un café, transformé en cinéma. Il y avait aussi séance à Esquerdes, toujours dans un café avec une salle attenante. Peu à peu, au fil des séances, l'affluence diminue. A Wizernes, les Rémond se suffisent à eux-mêmes, et Maurice doit chercher une voie professionnelle.
Maurice est ensuite parti à Paris, pour des études dans la T.S.F.. Après 28 mois de service militaire, pendant lesquels il est devenu, entre autres, projectionniste aux armées pour les gradés et leurs épouses à Coblence, Maurice Hermetz est entré dans une entreprise de câblage sous-traitant de Dassault.
Frédo est devenu conseiller municipal de Wizernes. Il épouse Rosine Mouton vers 1957. Les familles Rémond et Mouton se connaissent et se côtoient depuis longtemps. Eloi tient le Caméo wizernois jusque 1960 environ, date à laquelle il cède la salle à son fils.
Dans la famille de Maurice Hermetz, un parent, Roger Foulon, lié à la mère de Maurice tenait aussi un cinéma à Fauquembergues.
Frédo a ensuite abandonné le cinéma. Avec la baisse inéluctable des entrées à la fin des années 60, il s'est diversifié dans le juke box, le flipper à placer dans les bars et cafés du secteur, toujours en tenant le bar du Caméo, devenu un P.M.U.. Le cinéma est devenu une salle de réception à louer pour des mariages, baptêmes.
L'activité cinématographique a repris un temps dans les années 70 avec la vogue du porno le samedi soir, mais cela n'a pas suffit et il semble que le cinéma a fermé définitivement ses portes en 1980. La salle de cinéma a ensuite été rachetée par la commune afin de devenir une salle pour les pongistes. Décédé à 64 ans en octobre 1996, Frédo laisse Rosine veuve, alors que son père Eloi meurt le 16 juillet 1999 à 88 ans. Rosine Rémond vit aujourd'hui à Grasse. Leur fille Hermine réside à Aubagne. La salle du Caméo existe toujours, noyée dans les habitations qui se sont collés à la grande bâtisse. Il semble aujourd'hui qu'une famille réside dans l'appartement des Rémond. Quid de la salle elle-même ?
Source : un grand merci à Maurice Hermetz, cousin d'Eloi Rémond. Merci pour ses souvenirs, sa disponibilité et son accueil. Merci à Mme veuve Eloi Rémond pour les photos illustrant cet historique du Caméo.

Je suis bien sur toujours à la recherche de documents sur cette salle, des photos, tickets, cartes postales, programmes, souvenirs de projections, de films vus,...



Légende des photos :
- Une carte postale du premier Caméo, s'appelant alors Cinéma des familles. La salle est située à gauche, zoomez et vous verrez une voiture garée devant l'entrée de ce cinéma d'avant la seconde guerre mondiale.
- Un tampon du Caméo
- Les directeurs emblématiques du Caméo, avec de gauche à doite Raymonde Rémond, son fils Frédo Rémond, l'épouse de ce dernier, Rosine et à droite Eloi Rémond. Il s'agit d'une photo du mariage de Frédo prise dans la salle du Caméo.
- L'appareil de projection du Caméo. Il s'agirait d'un projecteur Lebrun (Nurbel), fabricant qui avait son usine rue Bourignon à lille. On reconnait la marque car le moteur qui entraine le projecteur est très typique. Ce cinéma etait exploité avant en 16mm. Un grand merci à l'inévitable J.-M. Prévost pour ces renseignements.

Commentaires

  1. Bonjour,
    Avant d’être cédé a la commune, la salle servais aussi de discothèque dans les année 1980-1990
    Elle a aussi continué ses activité PMU, les pongistes sont arrivés vers les année 1998-2000

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  2. Mon père, invalide, a tenu le PMU le dimanche avant son décès en 1979...
    J-P. Mercier

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  3. Je suis Eric le neveu d'Eloi que j'aidais de temps à autre au cinéma, j'étais alors adolescent... J'ai parfois fait projectionniste et vendu des bonbons ou encore contrôler les tickets.
    Je précise que mon oncle avait dans les années 60 une salle également à Arques. Projections alternées avec Wizernes.

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