1909, naissance de la censure dans le Pas-de-Calais


Parmi l'ensemble des scènes d'actualité proposées, il en est une qui n'est jamais officiellement dans les programmes, une vue jamais mentionnée mais certainement la plus commentée. Il s'agit d'un film montrant une quadruple exécution par guillotine ayant eu lieu à Béthune.
Il fait froid ce lundi 11 janvier 1909 à Béthune. Il est près de 7 heures 20 et déjà une foule de sept à huit milles personnes se presse devant la sinistre machine inventée par le docteur Guillotin, placée face à la prison de Béthune. Les quatre coupables arrivent devant l'échafaud. Il s'agit des frères Auguste et Abel Pollet et leurs deux complices Deroo et Vromant. Ces deux derniers, d'après Le Petit Bruaysien du 16 janvier 1909 ne sont « que deux loques humaines ». Deroo est le premier guillotiné, puis Vromant, « blême comme un cadavre et effrayant de peur ». Auguste et Abel Pollet sont ensuite exécutés par le bourreau Anatole Deibler après avoir tenté de parler à la foule. Il est près de 7 heures 32. L'exécution a duré huit minutes. Cette scène semble avoir été filmée par un opérateur ayant déjoué de « larges cordons de fantassins ».





































Alors que le cinématographe avait déjà proposé des scènes morbides, des mises en scène de faits divers, des reconstitutions de scènes d'exécution et que des films policiers « plus vrais que nature » comme le détective Nick Winter, sévissaient sur les écrans, cette vue déclenche les foudres des pouvoirs publics. Dès le 24 janvier, Le journal d'Hénin-liétard publie la circulaire envoyée par le Ministre de l'Intérieur Georges Clémenceau au préfet du Pas-de-Calais qui interdit la projection de cette vue. Le préfet Briens va répercuter cette interdiction aux édiles municipaux qui vont aussitôt y répondre positivement. Afin de condamner cette bande, le cinématographe est intégré aux « spectacles de curiosité » prévus à l'article 6 du décret du 6 janvier 1864 sur la liberté des théâtres. Les « spectacles de curiosité » restent ainsi toujours soumis à l'autorisation du maire, en application d'une loi d'aout 1790; Les raisons de cette chasse à la vue scandaleuse sont à rechercher dans le contexte politique du moment avec, déjà, un débat passionnel entre partisans et abolitionnistes de la peine capitale. Élu en 1906, le président de la République Armand Fallières est pour l'abolition de la peine de mort. Pendant son mandat, il gracie des centaines de condamnés. Fallières essaie de légiférer, mais les partisans de la peine de mort l'emporte. Le Ministre de l'Intérieur craint ainsi que la projection de la scène de l'exécution des Pollet risque de ranimer le débat que l'on veut clore, voir même de favoriser les arguments abolitionnistes avec le spectacle bien réel projeté sur grand écran de véritables têtes tombant dans un panier. C'est ainsi qu'une courte scène prise dans le bassin minier va susciter l'élaboration et la création d'une censure contrôlée par les services de l'État.

Légende des documents :
1ère image : l'instigateur de la bande, Abel Pollet, principal coupable des meurtres.
2ème image : reproduction de la directive ministérielle demandant aux maires d'interdire la projection de la vue montrant l'exécution de la bande Pollet. N'hésitez pas à cliquer dessus pour la lire;

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