Les grandes (R)évolutions des salles de cinéma
Tout d'abord,une bonne et heureuse année à tout ceux qui viennent régulièrement sur ce blog, ainsi qu'aux visiteurs de passage.
Pour commencer cette nouvelle année, voici un texte écrit par Daniel Najberg. Pour la première fois depuis sa création, ce blog accueille un texte écrit par une autre personne que le rédacteur de ce blog. Dès le début, c'est un de mes souhaits d'accueillir des signatures de personnalités plus ou moins proches du milieu du cinéma, d'historiens locaux, de passionnés,.... Quelle meilleure entrée en matière pour cette nouveauté et cette nouvelle année qu'un texte écrit par un passionné par le cinéma, comme Daniel Najberg.
Les grandes (R)évolutions des salles de cinéma
Lorsque l’on regarde les grandes évolutions des salles de cinéma, on se rend compte d’une mutation importante tous les vingt ans. 20 ans après la naissance du cinéma, c’est la fin des forains et le début des salles fixes. 20 ans plus tard, le cinéma devient sonore, puis encore 20 après, c’est le format scope qui oblige à revoir l’architecture des salles. Puis la baisse de fréquentation oblige les exploitants à diviser les salles. 20 ans après se sont l’arrivée des multiplexes de périphérie. Et maintenant, le numérique arrive à grands pas.
1890
En 1891/93, Demenÿ met au point et dépose le brevet de son phonoscope à disques et à cylindres.
Le 28 octobre 1892 Émile Reynaud propose au public du musée Grévin de véritables petits dessins animés, alors appelés Pantomimes lumineuses.
A l’étranger chacun à son inventeur. Les américains Edison, sans oublier Le Prince ou en Allemagne Max von Skladanovsky avec le Bioscop.
La première projection à Paris, réalisée avec l’appareil de Louis Lumière le 28 décembre 1895, marque le début du spectacle cinématographique. Avec les premiers « tourneurs » et notamment les opérateurs de la maison Lumière, le cinéma s’exhibe dans les cafés, music-hall, lors des foires…
Les forains furent les premiers exploitants du cinéma, circulants de ville en ville avec leurs roulottes, premières salles de projections ambulantes. Certains banquistes promenaient ainsi de foire en foire des salles pouvant accueillir plusieurs centaines de spectateurs. Ces premiers cinémas étaient parfois magnifiquement décorés. Les films étant achetés aux grandes firmes (Pathé, Gaumont, Eclair…) il était nécessaire de changer de public après quelques jours de projection d’un programme qui restait la possession du forain. Sur ce sujet, lire le livre de Pierre Darmon[1]
1910
Les premières salles du muet
Le 12 octobre 1906 Pathé fait un essai de location de films, comme cela se fait déjà en Grande Bretagne. Après un essai de location liée aux recettes (partage à 50% des bénéfices) Pathé opte pour la location au mètre. La location au partage des recettes reviendra plus tard, avec notamment la création d’une billetterie contrôlée par le CNC après la guerre. La firme au coq prétextait une utilisation des films jusqu’à l’usure, d’où une projection de copies en piteux état. En fait il semble que dans la majorité des cas il n’en est rien. En observant les cartes postales de ces cinémas forains, la date des films projetés est souvent proche de celle de la photo. Les films étaient ensuite revendus d’occasion à de petits forains.
Début 1909, le congrès national des producteurs de films réunis à Paris accepte ce système de location comme une nouvelle norme. Les programmes pouvant ainsi changer chaque semaine, le cinéma devient sédentaire et naissent les premières salles spécialement construites pour le cinéma.
A partir de 1906 et jusqu’en 1914, la concurrence des salles fixes est si importante que les forains disparaitront rapidement. Certains d’entre eux créeront des cinémas sédentaires. Une des motivations de Pathé sera d’exclure le cinéma ambulant au profit des salles permanentes afin notamment de développer son propre réseau en France et en Suisse.
L’ Omnia Pathé du boulevard Montmartre à Paris est inauguré le 1er décembre 1906. L’écran mesure 3,5m X 4m. En 1910, Léon Gaumont achète l’hippodrome de la place Clichy à Paris et le transforme en une monumentale salle de cinéma de 3 400 places, la plus grande du monde : le Gaumont-Palace est né.
Les salles sont souvent construites en longueur car la visibilité n’est bonne que dans la proximité de l’axe de projection. L’arrivée du parlant va complètement modifier la donne.
1930
La révolution du parlant
En France, plus de la moitié des salles n'étaient pas encore équipées en 1932. La sonorisation du parc de salles français s'est réalisée de manière progressive : sur environ 4 500 salles, 194 sont équipées en mars 1930, 703 en mars 1931 et 3 023 en 1934. De nouvelles salles sont construites, prenant notamment en compte les problèmes d’acoustique.
C’est la première grande révolution technique du cinéma. Les réalisateurs pensent que le cinéma parlant va tuer l’Art. Nombreux sont ceux qui estiment que rien ne vaut un bon film muet. Certains acteurs auront du mal à passer le cap de la parole. Le public, lui, est enthousiaste. La fréquentation des salles est dopée par le parlant. Le cap des 400 millions d'entrées est dépassé en 1938.
1950
L’écran large
La Tunique (The Robe) est un péplum américain sorti en 1953. Il est surtout connu pour être le premier film en cinémascope de l'histoire du cinéma. Il va falloir à nouveau adapter les salles à ce nouveau format. Les écrans d’un format initial de 1,33 de large pour 1 de haut vont devoir passer à une proportion de 2,35 à 2,66 pour 1. C’est aussi l’arrivée du film 70mm. La majorité des films tournés en 70 mm le sont dans les années 1950-60. De nombreuses salles dans les grandes villes s’équipent de projecteurs pouvant projeter ce format, dont le son enregistré sur 6 pistes est magnétique.
Le Colisée de Roubaix, créé en 1926, est réaménagé en 1951 il s’équipe du son stéréophonique et d’un plancher flottant pour absorber le son. « A peine transformée, deux ans plus tard, de nouveaux travaux sont engagé pour permettre les projections en cinémascope. Il a fallut refaire toute la scène. Le « Colisée » a été le premier cinéma de la région à programmer le film de la Fox, « La tunique ». A cette occasion une énorme publicité apparaissait sur le haut de la gare de Lille. Le cinéma Roubaisien a réalisé 78 000 entrées en un mois. La dernière semaine où était programmé le premier film en scope il faisait encore 16000 entrées. Les projections étaient interrompues pour laisser la place aux autres films qui attendaient leur tour»[2].
Il sera pour longtemps le plus grand cinéma de province avec ses 2 150 places.
1970
Les complexes cinématographiques de centre ville
Entre 1957 et 1971, la fréquentation diminue de plus de 140 % et passe de 412 millions d'entrées à 170 millions, sous l'effet conjugué de la télévision et de l'évolution générale des modes de vie.
Les multisalles font leur apparition, souvent issues de la division des salles existantes, devenues trop grandes. Les exploitants achètent quand ils le peuvent les commerces voisins afin d’augmenter leur nombre de salles et donc l’offre de films. La fréquentation se stabilise entre 1971 et 1983, le nombre d’écrans augmente. Les bâtiments sont mal adaptés à ces transformations. Les cabines de projections sont reliées par de véritables labyrinthes. Le son s’entend souvent d’une salle à l’autre. Cette situation durera néanmoins plusieurs années jusqu’à une nouvelle décroissance importante des entrées. Les exploitants doivent également faire face à l’arrivée du magnétoscope apparu en 1970. Dès 1983, la fréquentation entre dans une nouvelle phase de baisse qui conduit le secteur de l'exploitation à perdre, en moins de dix ans, près du tiers de ses clients : de 178 millions en 1978, le nombre d'entrées passe à 116 millions en 1992.
Il faudra trouver d’autres solutions.
1990
Les multiplexes en périphérie des grandes villes
Les exploitants réagissent et suivent la grande distribution à l’extérieur des villes. Ils conçoivent des multiplexes en périphérie des grandes agglomérations. Par rapport au centre ville, les terrains disponibles sont vastes et meilleur marché, possibilités de stationnement facilité par de grands parkings gratuits. Autour des salles se créent des centres de loisirs avec restaurants à thème, bowlings, boites de nuit… La confiserie et les jeux vidéo envahissent les halls. La recette confiserie représente une part importante du chiffre d’affaire du cinéma.
Un des plus importants multiplexes est le Kinepolis de Lomme dans la banlieue de Lille, aves 24 salles, ouvert fin des années 90.
Ces multiplexes sont réservés aux grands groupes ou solides exploitants. Les investissements sont lourds.
Ces immenses cinémas sont d’énormes « aspirateurs » à spectateurs. Ils ratissent une clientèle dans un secteur situé à une heure de transport. En conséquence, les petites salles proches ferment, les centres des petites villes se vident. Certaines municipalités s’inquiètent. Elles achètent les cinémas en difficulté ou, grâce à une loi prodiguée pour l’occasion, aident les exploitants privés.
2010
Le numérique
Le passage des cinémas au numérique sera la grande évolution de la décennie à venir.
Les Etats Unis ont déjà fait évoluer la moitié de leur salles vers le numérique. La France est plus longue à se mettre en route mais plusieurs solutions de financement sont maintenant en place. Qui est financièrement gagnant dans ce changement de support ? Le distributeur du film. En effet le tirage de copie coute cher. Environ 1000 à 1500 euros, et quand un film sort en 500 copies c’est 750 000 euros de tirage. Le fichier numérique a un coût négligeable. Cette économie donc sera partagée avec l’exploitant qui investi dans l’achat d’un projecteur numérique. Environ les trois quarts de l’investissement sont pris en charge par un organisme chargé de collecter et répartir ces économies financières. De ce fait plus rien ne s’oppose au début de cette petite révolution. Un équipement numérique coute environ 60 à 80 000 euros, sans le son puisque celui du projecteur film est conservé. Le coût supporté par l’exploitant est donc de 10 à 15 000 euros.
Quel avantage pour le propriétaire du cinéma ? Un cout de transport réduit, pas de montage de copie, possibilité d’avoir des versions différentes du film (VO, VF), ouvertures à d’autres utilisations du projecteur (conventions, diffusions de match et concerts) et surtout projection en relief. Un film en relief fait 30% de spectateurs en plus que sa version « plate » et surtout attire un public nouveau, les ados qui ne fréquentaient plus les salles. Les sorties à venir ne vont pas manquer de tenter les directeurs de salle, pratiquement un film en relief par mois (l’âge de glace 3 le 3 juillet, La haut le 29 juillet qui a fait l’ouverture du festival de Cannes, Toy story 1 et 2 et Alice au pays des merveilles début 2010 pour n’en citer que quelques uns). 133 cinémas possédaient au moins une salle équipée en numérique au 31 mars 2009 représentant au total 423 écrans.
Tous les films ne sortant pas en numérique, les salles resterons équipées en film pendant encore quelques années. Les cabines trop petites posent problème en ne permettant pas de « caser » un projecteur film et un numérique. Elles devront attendre un peu.
UGC, ne s’équipera pas de suite, farouchement contre cette évolution qui mettra en péril les labos photochimiques français qui tirent des copies pour toute l’Europe.
En conclusion
Lorsque nous comparons tous ces changements (films sonores, cinémascope…) nous retrouvons les mêmes débats avec le numérique des pours et des contres. Ces changements se sont toujours faits sur plusieurs années. Cette mutation est maintenant inexorable. Le spectateur y gagnera en qualité de projection (copies toujours impeccables). Mais le choix des films ne sera-t-il pas réduit, toutes les salles voulant et pouvant projeter le même film puisqu’il n’y a plus de limite au nombre de copies. On peut par contre penser que les films pourront rester plus longtemps à l’affiche dans la mesure ou les copies ne circulent plus. Quant au collectionneur, il y voit le début de la fin de sa collection argentique. Les projecteurs 35mm vont se faire nombreux sur le marché d’occasion.
[1] LE MONDE DU CINEMA SOUS L'OCCUPATION de Pierre Darmon. Éditeur : Stock
[2] Daniel Granval et Olivier Joos, les cinémas du Nord Pas de Calais
Un grand merci à Bernard Warin pour l'illustration de cet article.
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