La façade de l'Apollo de Lens



Le 5 décembre 2009, un article de l'édition lensoise de La Voix du nord mentionnait que la façade de l'ancien cinéma de l'Apollo de Lens allait être sauver, incorporer dans un vaste chantier de rénovation urbaine des façades de la place de la gare. Avec cette bonne nouvelle se clôt, certainement momentanément, le devenir de la mythique salle de l'Apollo lensois. Afin de mieux comprendre cette situation, revenons au commencement...
En effet, cette façade a connu de nombreux déboires, liés bien sur au devenir de la salle elle-même. Fermé le 31 décembre 2000, avec une ultime séance dans la grande salle à 15 heures pour une dizaine de spectateurs qui avaient fait le déplacement (le film alors proposé était « A l'aube du Sixième jour », avec Arnold Schwartznegger), l'Apollo a ensuite été abandonné, tombant doucement en décrépitude, dans un total oubli pendant plus de trois ans et demi, faisant certainement la joie de squatteurs. En octobre 2004, le tribunal de commerce de Paris ordonne la liquidation de biens de la société des cinémas Bertrand. La municipalité rachète alors le bâtiment à la société qui exploitait le cinéma par l'intermédiaire d'un Etablissement public foncier. L'estimation du coût est d'un peu moins de 2 millions d'Euros. Mais que faire de la salle ? Difficile d'en faire une nouvelle salle de spectacle puisque la municipalité a déjà fait ce choix pour l'ancien cinéma Colisée, situé rue de Paris, à quelques dizaines de mètres de l'Apollo. Devenu théâtre municipal de 652 places, le Colisée, ouvert en 1982, est aujourd'hui encore un lieu important de spectacle, accueillant des pièces de théâtre ou des chanteurs de renommée nationale. L'un des premiers projets est l'aménagement d'un palais des congrès de la culture, avec des galeries d'art et des designers (ressemblant un peu, mais à une échelle plus intimiste, au Cent Quatre à Paris, ancien service des pompes funèbres municipales devenu lieu vivant accueillant des artistes (mais l'agglomération lensoise a déjà cela avec la fosse 11/19 à Loos-en-Gohelle qui accueille maintenant Culture Commune – Scène nationale du bassin minier)). Il est même alors prévu de garder une activité cinéma dans le bâtiment avec 2 ou 3 salles Art et Essai. Avec même l'idée d'une grande salle de spectacle polyvalente de 1500 à 2000 places, Guy Delcourt souhaite même en faire « une sorte d'Olympia ». Mais le projet de l'installation d'une antenne du Louvre à Lens pointe à l'horizon... avec une annonce officielle le 24 novembre 2004. C'est avec la concrétisation de l'arrivée de l'antenne du Louvre à Lens, puis de la réalisation de la rénovation intégrale du parvis du parking de la gare S.N.C.F. et de la gare routière que l'ancien cinéma va se retrouver au cœur du projet. En avril 2005, le projet de centre culturel est de plus en plus contesté avec un délitement de la communauté urbaine, porteur du projet. De plus en plus de maires des communes limitrophes lâchent le projet et rechignent à financer un projet trop lensois. Que faire alors de cette vaste bâtisse de plus de 2.600 mètres carrés au sol, face à la gare. Faut-il laissé un bâtiment délabré lorsque vont sortir de la gare les premiers visiteurs du Louvre. Les projets se mettent alors en place pour profiter de la vaste superficie, puisque l'ensemble est aménageable sur 6 niveaux, soit une surface totale de près de 16.000 mètres carrés, une belle aubaine pour une ville qui veut redynamiser son centre-ville avec des commerces attractifs et une locomotive qui peut attirer du monde comme Virgin Megastore ou la FNAC. Pendant quelques années, les projets vont s'enchainer. La façade va être un temps bâcher d'une banderole de 19 m sur 8 pour les matches de la coupe du monde de rugby que Lens accueille au stade Bollaert en septembre 2007 : il ne faut pas que les supporters étrangers voient en sortant de la gare la façade décrépie d'un bâtiment tombant doucement en ruines.
Le chantier de rénovation urbaine commence par le parking de la gare SNCF, ainsi que par le déplacement de la gare routière vers des lignes ferroviaires désaffectées et la gare marchandise abandonnée. Les travaux sont longs et entrainent d'importants problèmes de circulation. Une fois le mobilier urbain posé et l'inauguration de la gare routière effectuée se pose ensuite le problème de l'Apollo : le détruire ou le préserver ? Alors que le maire veut faire table rase du passé, souhaitant, et c'est légitime, tourner Lens vers un futur orienté vers la culture de grande renommée (Le Louvre), l'institution des Bâtiments de France impose une préservation du bâtiment pour la façade. Les avis sont alors partagés et tranchés, et sont notamment relayés par l'édition locale de La Voix du Nord. Certains se demandent « pourquoi on voudrait conserver cette saleté aussi miteuse […] et qu'un album de 32 pages avec photos et historique coûterait moins cher et ferait moins tâche », alors que d'autres estiment « qu'il est aisé de détruire, de faire disparaître le patrimoine plutôt que d'investir dans la préservation, de gommer les symboles du passé alors que la majorité de son passé a déjà été fortement détruite ».
Début janvier 2009, le début des travaux commence. La ville autorise même les lensois qui le souhaitent à visiter une dernière fois le cinéma. Mais fin Janvier, la nouvelle tombe donc sur le chantier de désamiantage : une architecte des Bâtiments de France, Christine Madoni, estime que la façade doit être conservée et qu'elle est un patrimoine représentatif. Face à cette situation, le maire Guy Delcourt fait face et estime que le bâtiment doit être détruit pour mars 2009. Il faut d'abord poursuivre le désossage et le désamiantage. La municipalité n'a pas le temps d'attendre afin de terminer intégralement la rénovation complète du quartier de la gare et s'atteler enfin à l'arrivée du Louvre. Mais en avril 2009, nouveau problème : le service départemental de l'architecture et du patrimoine (SDAP) refuse la nouvelle demande de permis de démolir la façade. Le chantier s'arrête totalement, l'avis des Bâtiments de France faisant autorité. Douche froide pour le maire qui estime que c'est un « caprice, car les ferrures sont nases, le béton menace de tomber ». Un des premiers problèmes, si l'on souhaite conserver la façade est de la renforcer car elle est en béton collé, d'après la municipalité qui conteste alors l'intérêt historique et patrimonial. Les projets de réhabilitation du site pour un promoteur privé, passant pas une destruction de l'Apollo, sont encore une réalité. Il faut alors implanter des bureaux, des bars, un magasin de loisirs. Garder la façade, mais détruire l'arrière a un surcoût important : 125000 euros pour uniquement les travaux de maintien de la façade. Et l'ensemble des projets doivent être refaits en y incluant la préservation de la façade.
Cette façade est-elle de l'Art Nouveau ? Je ne suis pas spécialiste et me garderais bien de faire un commentaire. On peut cependant faire plusieurs remarques. Tout d'abord, l'avis des Bâtiments de France concerne strictement la façade et non l'activité cinématographique, ni le lieu patrimonial auquel sont attachés les lensois, et surtout les anciens. Seuls quelques éléments de la frise, et l'inscription « Apollo » suivant une typographie typiquement Art Nouveau, ont, semble-t-il (je n'ai pas eu le dossier en mains), retenu l'attention des Bâtiments de France. Que cette façade soit celle d'un ancien cinéma cher au cœur des lensois ne fait pas partie des arguments des Bâtiments de France. Rappelons également que, pour l'instant, cette façade n'est pas classée. Ensuite, si l'on souhaite effectivement retrouver la façade d'origine, il va falloir faire un sérieux travail d'entretien, et retrouver dans le grenier du bâtiment que j'ai visité en janvier 2009, des éléments de la frise d'origine. Que font-ils dans le grenier ? Je n'en sais rien. Y sont-ils encore ? Je n'en sais rien. Certes, la façade de l'Apollo va être conservée, mais qu'en est-il de l'intérieur ? De la grande verrière redécouverte avec la disparition du faux plafond dans le grand hall ? Du jardin d'hiver, très Art Déco également, dans l'appartement Bertrand ? Ce jardin d'hiver avec sa colonne typique en céramique d'où s'écouler certainement de l'eau, entourée, peut-être de plantes vertes en-dessous, là aussi, d'une verrière noirâtre par la crasse en janvier 2009. Enfin, on s'étonnera toujours de la lenteur des procédures. L'Apollo a cessé son activité en décembre 2000. Si les différents acteurs intéressés par l'Apollo avaient anticipé, programmé, trouvé une reconversion à l'Apollo, le bâtiment serait depuis quelques temps dans cette nouvelle activité. Au lieu de cela, le temps a fait son œuvre et le bâtiment est tombé en déliquescence. Pour avoir visité l'Apollo le jour de la dernière séance le 31 décembre 2000, le cinéma était certes assez triste, mais il n'était pas une ruine non plus. Ce sont les ravages du temps et un abandon total par son propriétaire, puis par la municipalité qui ont abouti à un tel état. Volonté de pourrissement ? On a alors beau jeu aujourd'hui de signaler qu'un ravalement du bâtiment couterait une fortune. Si l'entretien avait été fait en temps et en heure, on n'en serait pas là...
C'est donc début décembre 2009 que se clôt momentanément l'histoire de cette façade et qui coïncide avec la pose de la première pierre du Louvre 2. En effet, la municipalité a réussit à trouver un terrain d'entente avec les Bâtiments de France. Il n'y aura pas que la façade qui sera restaurée, mais six immeubles qui jouxtent le bâtiment. Dans son discours de la Sainte-Barbe, Guy Delcourt souhaite ainsi « prolonger l'esprit Art Déco sur les bâtiments qui encadrent l'Apollo ». Mais cette fois, c'est l'Etat et le ministère de la culture qui vont devoir mettre la main à la poche. Mais le plan de financement est à faire pour un projet que M. Delcourt voit déjà terminé en 2016... Pour l'instant, l'Apollo est donc sauvé et est encore debout. A suivre, certainement...
Dans un prochain message, nous reviendrons sur un historique complet de ce qui fut pendant longtemps, la plus grande salle de spectacle de province, le paquebot des Cinémas Bertrand.

Commentaires

  1. Cette façade n'est pas Art nouveau (qui correspond en gros à la période 1890 - 1910) mais Art déco (environ 1920-1935). D'un point de vue stylistique, l'art nouveau peut être parfois être confondu avec l'art déco lorsqu'il représentait des lignes droites et des formes plutôt géométriques. Mais l'art nouveau en France, à quelques rares exceptions près, a plutôt représenté des lignes courbes, des motifs floraux et des personnes féminins. Ceci n'est qu'un petit résumé de la différence entre les deux styles car l'Art nouveau a été un mouvement très complexe.

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  2. Bonsoir,
    Merci de ce commentaire fort utile qui alimente le débat. Je vais relire mes notes, mais je suis sur que La Voix du Nord mentionne bien la dénommination Art Nouveau (mais bon, La Voix du Nord n'est pas un magazine d'art...). N'étant pas un grand spécialiste sur ce sujet, je suis avide de ces remarques. Ami lecteur, n'hésite pas à donner ton avis sur ce sujet

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  3. Je ne suis pas non plus un spécialiste de l'art-déco mais l'Apollo, construite en 1935, semble être donc inspiré par lui. C'est certain qu'on aurait aimé voir la salle revivre mais les décideurs ont pris d'autres options. Mais, pour les nostalgiques dont je suis, le seul maintien de la facade de ce lieu où j'ai passé de nombreuses heures de ma jeunesse, me permettra de me remémorer le temps de la splendeur de l'Apollo lorsque je sortirai de la gare de Lens.
    Bonne année, Olivier à toi et à tous ceux que tu aimes

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  4. je confirme que les façades de lens (face a l'hotel de ville notamment) sont belles et bien art DECO. le fait de garder la facade de l'apollo en place est pour moi une erreur, le fait de l'associer aux 6 autres immeuble de la place de la gare est par contre une excellente idee. (pour les novices, antoni Gaudi, architecte catalan est l'un des pionniers de l'art NOUVEAU, histoire de faire la difference)

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