Les premières séances de cinéma à Douai

A l'orée du nouveau siècle, Gayant est le géant d'une citée en pleine expansion. La population s'accroit et les activités se diversifient. N'étant pas le siège d'extraction houillère, Douai profite malgré tout des retombées de l'expansion économique que connait le bassin minier. La ville se place à la pointe des progrès techniques, ayant d'une part une piste et une usine aéronautique Bréguet, et étant d'autre part la ville natale d'un précurseur du cinématographe : Georges Demenÿ. Avec l'automobile, l'aviation et le cinématographe font parti des secteurs de pointe de la seconde révolution industrielle. Douai a également une place importante dans le dispositif urbain du bassin minier : siège d'une garnison, d'un tribunal, et ayant une zone commerciale étendue. Douai est également placée sur la ligne de chemin de fer Paris – Lille et sa renommée est importante, notamment avec les festivités de Gayant début juillet.
Avant l'arrivée du représentant de la Maison Lumière, la cité a déjà connu deux projections. C'est en plein centre-ville, place d'Armes, que Douai va connaître sa première représentation de cinéma. L'Olympia est l'un des grands cafés-restaurants de cette grande place. Il est situé aux numéros 25 et 27. Son propriétaire, M. Gadiffert, accueille « le salon du cinématographe qui est luxueusement aménagé » en décembre 1896, et qui est « installé depuis quelques jours seulement ». Le salon du cinématographe propose des vues Lumières telles que « l'arrivée d'un train, la sortie de la messe, le jardin d'acclimatation, les farces d'un arroseur, les aventures d'un pochard, le Tsar à Paris, le travail des forgerons, etc », le tout présenté de 17 à 18 heures, et entre 19 heures 30 et 22 heures. Le dimanche, la matinée débute à 15 heures. Ce cinématographe n'est ensuite plus mentionné dans la presse locale. Ce bref passage d'exploitant est-il un échec ? Ou était-ce prévu dès le début des projections ? C'est le 3 février 1897 que Le Journal de Douai annonce une nouvelle série de représentations, pour le lendemain à 20 heures 30 à la salle des fêtes de l'hôtel de ville. Mais dans son édition du 5 février, Le Journal de Douai annonce que « par suite d'un accident, la séance de cinématographie annoncée pour hier, est remise à vendredi ». Mais ensuite, aucune mention, aucun compte-rendu ne décrit cette séance. C'est le 28 février 1897 que Le Journal de Douai annonce enfin « le Cinématographe Lumière (le véritable cette fois) ».
C'est en provenance de Saint-Quentin que le Cinématographe arrive à Douai, avec une belle réputation derrière lui. Neuf représentations sont effectuées du jeudi 4 mars au lundi 12 mars, mais « devant le grand succès de ces charmantes soirées, la Direction du Cinématographe Lumière a décidé de prolonger de trois jours son séjour », jusqu'au lundi 15 mars inclus. Il s'agit probablement d'une technique commerciale qui consisterait à limiter volontairement le nombre de représentations afin d'attirer le public et d'insister sur le succès de ces projections. Mais, de façon plus simple, l'exploitant, comme à Saint-Quentin, décide de prolonger son séjour pour véritablement répondre à l'engouement du public pour ces « charmantes soirées ».
Contenant près de 750 places, le théâtre de Douai accueille les représentations Lumière. Le théâtre est le lieu de distraction et de sortie préférée d'une partie de la société douaisienne, issue d'un milieu aisé et composée de notables, de petits bourgeois et de commerçants. Le Cinématographe, en s'installant au théâtre, souhaite toucher ce public pour obtenir ainsi une bonne publicité et une image de marque rassurante.
Il est malheureusement impossible de savoir ce qui se cache derrière « la Direction du Cinématographe Lumière » : leur nombre, leurs noms, leurs rôles... Cette direction peut être une équipe ayant obtenu la location du « droit d'exploitation du Cinématographe » par les Lumière. Cette équipe est constituée d'un opérateur-mécanicien et d'un assistant. En décembre 1896, la firme lyonnaise décide que l'opérateur peut se retrouver seul à gérer l'exploitation, exerçant à la fois le rôle d'opérateur, technicien, commentateur, gestionnaire... De ces hypothèses, on ne sait malheureusement laquelle retenir pour dévoiler l'identité de cette « Direction ».
L'obscurité se fait dans la salle. Le moteur se met en marche, et l'opérateur envoie un jet de lumière sur une toile blanche. Sur celle-ci, les vagues de la mer bougent, les feuilles des arbres suivent le mouvement du vent, les gens marchent... La stupeur se lit sur chaque visage des spectateurs, lesquels, malgré le scintillement de la lumière et le sautillement de l'image, se souviendront longtemps de cette première expérience, de ce premier contact. Le Cinématographe Lumière propose près de « 30 projections animées, éclairées par l'électricité et mesurant de 15 à 20 m2 ». Ces vues appartiennent aux séries décrites par le catalogue Lumière qui propose plusieurs catégories de « films » : comique, documentaire, scène de genre, actualité. Ces courtes scènes sont essentiellement des vues de plein air, « la nature prise sur le vif », faites par les opérateurs Lumière envoyés dans le monde entier. Malgré la réversibilité de l'appareil, aucune vue locale n'est mentionnée parmi les projections faîtes au théâtre.
La réussite et l'afflux du public semblent avoir contenté le représentant Lumière, même si celui-ci fait distribuer le 10 mars un « humoristique prospectus », cherchant ainsi à attirer « ceux qui ont hésité de venir, de crainte d'être bernés encore une fois ». Mais ceux-ci ne pourront échapper au succès foudroyant du spectacle cinématographique. Moins de deux mois après le départ du représentant Lumière, Douai va connaître de nouvelles séances, grâce notamment à l'un de ses concitoyens.
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