Les cinémas à Hénin-Beaumont de 1939 à aujourd'hui

Si l'on fait le point avant la seconde déflagration mondiale, l'année 1938 voit certainement l'apogée du cinéma héninois d'avant guerre. Les trois salles les plus importantes : Apollo, Capitole et Caméo ont alors une capacité totale de 2.860 places. Au rythme des séances et des mois, elles accueillent en 1938, 258.566 spectateurs,soit 4.972 en moyenne par semaine pour la vision totale de 339 films. Le cinéma est alors un véritable loisir de masse. La population héninoise se compose alors de 23.000 âmes. Si, bien sur, l'on considère que seuls les héninois fréquentent leurs cinémas, ce qui n'est pas tout à fait faux puisque les villes alentours possèdent alors leurs propres salles, chaque habitant d'Hénin a fréquenté, en moyenne,un peu plus de onze fois les cinémas. Sur cette somme, c'est l'Apollo qui attire le plus des spectateurs. Avec une clientèle de 148.200 personnes, la salle représente 57,3% du marché héninois,

La séance de cinéma est alors particulièrement longue. Il y a souvent une première partie avec une vue comique puis un ou deux documentaires et les actualités de la semaine. Parfois l'entracte permet de voir les attractions de music-hall. Puis vient le grand film. C'est bien sur en fin de semaine que le cinéma ouvre ses portes. Le samedi soir est particulièrement la séances des jeunes gens. Le dimanche après-midi attire les familles et le jeudi grâce au demi-tarif, le cinéma joue les nurses.
Mais le temps des plaisirs et des distractions prend fin et un nouveau conflit s'annonce. Mentionnons auparavant l'existence de deux autres salles qui appartiennent au clergé et qui par conséquent répondent à une logique autre que commerciale : le cinéma Saint-Henry, situé cité Darcy qui ouvre en août 1933, et le Rex, boulevard Schumann.

Lors des premiers mois de nouveau conflit, les salles héninoises n'échappent pas au bouleversement. Dès novembre 1939, le sujet britannique Humbary Davies nomme gérante sa secrétaire comptable Julienne Gemgembre. L'acte est officialisé par le notaire René Six. Elle reste a ce poste jusqu'en 1948 afin d'administrer la salle. En 1940, l'Apollo diffuse 85 films et attire 97.000 spectateurs. Mobilisé, Germain Larivière est fait prisonnier de guerre de juin 1940 à avril 1941. A son retour, il poursuit l'exploitation, donnant à la population un certain réconfort moral. La salle de Léon Cochon, le Capitole, est endommagée par les bombardements au début du conflit. A 64 ans, en mai 1943, Léon Cochon, malade et en convalescence à Nice, transmet la gestion de la salle à son fils Louis, âgé alors de 39 ans.
Malgré les contraintes du couvre-feu, les restrictions en électricité et la peur de la réquisition par l'occupant, les salles obscures deviennent les seuls lieux de distraction pour une population déprimée. Par sanction des autorités allemandes, toutes les salles sont fermées à dater du 29 juillet 1944.
En juin 1948, Humbary Davies est de retour à Hénin. Résidant dorénavant rue du Général de Gaulle à Beaumont, il reprend la direction de l'Apollo. Mais dès juillet 1951, il cède la salle au réseau Ghéldorf, centré sur Roubaix, également gérant du Majestic de Carvin et du Cantin de Lens. Riche de trente-cinq salles, ce circuit est l'un des trois grands de la région, avec les cinémas Bertrand et le réseau Deconninck.
En février 1953, le Cinéma Français change également de propriétaire : Germain Larivière le cède à Gilbert Meurice. Originaire de l'Avesnois, ce dernier dirige déjà deux cinémas dans le Nord dans l'immédiat après-guerre. Nouveau gérant, il rebaptise la salle le Caméo et devient le cinéma des « deuxième visions ». Les films, passant d'abord en exclusivité à l'Apollo ou au Capitole, sont, quelques semaines plus tard, à l'affiche au Caméo.
Le Capitole n'est pas à l'abri de la restructuration de l'exploitation héninoise. Le 30 décembre 1953, Louis Cochon signe un accord avec la société Bertrand pour la gestion commune de la salle. Il compte ainsi profiter de l'expérience de ce réseau de salles dirigé par Roland Bertrand, et fortement implanté dans les principales villes du bassin minier avec l'Apollo de Lens,... Après rénovation, la salle offre encore 800 places. Les comédies attirent le public au Capitole qui doit souvent refuser des spectateurs. On peut alors réserver sa place à l'année, le public étant constitué d'habitués. Le cinéma est alors un mode de vie, le premier loisir des français. Après des records de fréquentation en 1947 et 1956 – 1957, le public va peu à peu refluer, rapidement séduit par la télévision qui apparaît très tôt dans les foyers du Nord. L'émetteur de Lille fonctionne dès 1954.
A nouveau, Apollo et Caméo changent de propriétaires. En avril 1973, alors que la diminution de la fréquentation s'amplifie, les 868 places de l'Apollo quittent le circuit Gueldof au profit d'une héninoise, Christiane Lemire. Resté propriété de Gilbert Meurice, le Caméo passe toutefois sous la gestion de Francis Eripret en octobre 1964, puis dix ans plus tard, la direction de la salle est confiée à Pierre Hugot et Alain Florecq. Mais le déclin est irrémédiable. Au cours des années soixante-dix, les méthodes d'exploitation se modifient. La télévision triomphe et le nombre de récepteurs s'accroit. La couleur se généralise, les programmes s'étoffent, de nouvelles chaînes arrivent et le divertissement est dorénavant à domicile. Les directeurs de salles modifient leur stratégie en multipliant les films à l'affiche. Les grands cinémas sont dépecés, fractionnés en petites salles. En juillet 1979, Mme Lemire fait de l'Apollo un complexe de trois salles : Apollo I de 386 places, Apollo II de 117 places et Apollo III de 91 places.
Le 11 novembre 1979, le Capitole projette son dernier film : « Piranhas ». Trop grande pour être rentable, mais pas assez pour être transformé en multi-salles, la société Bertrand cède le Capitole à la municipalité qui souhaite le transformer en une salle polyvalente pour les gymnastes ou les musiciens. Le Capitole est le premier cinéma d'Hénin à éteindre le projecteur. Quelques années plus tard, alors qu'il ne propose plus que des films de karaté et d'horreur, le Caméo ferme définitivement ses portes le 27 novembre 1984; victime de la logique du marché.
Quelques mois plus tard, dans la nuit du jeudi 2 au vendredi 3 mai 1985, un incendie se déclare mystérieusement à l'Apollo. Quelques heures après la projection du film « Amadeus » de Milos Forman, le feu se déclare à une heure du matin. Le journaliste de Nord-Matin nous apprend que trois foyers ont été allumés de main criminelle : l'un dans le hall, le second dans la salle principale et le troisième derrière l'écran ou une bouteille d'alcool et une boite d'allumettes ont été retrouvées intactes. Déjà, en 1962, un incendie, vite maitrisé, s'était déclaré. L'enquête piétine, et la salle obscure ou des milliers d'héninois ont rêvé, ont vécu dur grand écran des histoires s'identifiant aux héros, et ou des couples se sont rencontrés, fait rapidement place à un supermarché, nouveau temple de l'aventure humaine.

Aujourd'hui, le Caméo est devenu une épicerie solidaire, l'Apollo n'est plus, et le Capitole, détruit a fait place a une résidence nommée... le Capitole. Cette dernière salle a pendant vingt ans et à l'abandon, tombant lentement en ruine avec, même avant l'instant fatidique de sa destruction, des sièges et un écran.

En 1991, cela fait six ans que les 26.000 habitants d'Hénin, mais aussi ceux des villes alentours, sont privés de cinémas. Parce qu'une salle de cinéma est le témoin de la vitalité et du dynamisme d'un centre-ville, parce qu'elle est un pôle de divertissement et de culture indispensable, parce qu'elle attire dorénavant des spectateurs potentiels qui ne se contentent plus de la télé et que le commerce local profite des retombées de ces spectateurs, la municipalité, face à ce manque et à ce besoin, décide la construction d'un complexe de trois salles au cœur de la ville. C'est à M. Hubert cornu, autrefois employé au cinéma Capitole, que l'on doit le nom du futur complexe, inauguré avec faste et en la présence de nombreuses vedettes, comme Miou-Miou, le samedi 7 décembre 1991. Doté des derniers perfectionnements techniques et, mais pour un temps, du plus grand écran de la région, les trois salles de l'Espace Lumière séduisent rapidement les héninois et les habitants des communes voisines. Les spectateurs s'approprient cet établissement cinématographique, géré indépendamment des grands circuits nationaux. Un nouvel espace de vie, de convivialité et de sociabilité prend ainsi son essor, et devient le symbole de la poursuite de l'exploitation du Septième Art à Hénin-Beaumont, en espérant, dans l'avenir, être protégé des grands changements actuels, afin de rester la fierté et la propriété des héninois et des spectateurs.
Mais Hénin n'échappe pas à la rapide transformation qui touche l'exploitation cinématographique à la fin du siècle dernier. A l'instar des grands centres urbains, tant régionaux que hexagonaux, la ville accepte en décembre 1997 l'installation d'un multiplexe cinématographique d'une importante société de production-distribution, le géant Gaumont, en périphérie, près du centre commercial Auchan de Noyelles-Godault, reléguant ainsi le Septième Art au rang de simple consommation de masse. La carte de l'implantation cinématographique à Hénin se trouve ainsi radicalement changé. Alors que depuis un siècle, l'exploitation était concentrée en centre-ville, le multiplexe va changer la donne en plaçant la consommation de cinéma en périphérie. Gaumont fait passer l'exploitation cinématographique à Hénin à une vitesse supérieure puisque le marché visé concerne une vaste partie de l'ancien bassin minier allant de Douai à Avion, d'Arras à Seclin. La position géographique du multiplexe, à l'embranchement de l'autoroute, est profitable au succès et à la réussite d'une telle entreprise. Les autres exemples d'implantation de ce genre montrent qu'elles sont stimulantes en tant que moteur de développement d'une zone marchande périphérique. L'ouverture d'un tel site menace aussi directement l'ensemble des cinémas des environs : l'Espace Lumière d'Hénin-Beaumont, l'Apollo de Lens, le Familia d'Avion, le Concorde de Noyelles-Godault... Mais les nombreux projets de construction de multiplexe, tels que celui de Douai, le Pathé de Liévin ou dans la zone nord d'Arras, pourrait aviver la concurrence et restreindre le marché potentiel de spectateurs visés, malgré les prévisions à la hausse de la demande.
La construction du nouveau temple du cinéma héninois est rapide, s'étendant sur quelques mois seulement. Elle répond à de nouveaux critères d'élaboration : uniformisation et standardisation de l'architecture, transformant la simple salle de cinéma en bunker bétonné, triste à la vue. D'une superficie de 6 200 m2, pouvant accueillir un total de 2 400 spectateurs dans 12 salles, le site ouvre en avril 1999. Par cette arrivée, la municipalité pense dynamiser et valoriser un nouveau quartier en devenir, le Bord des Eaux, grâce à l'implantation d'activités induites et connexes (restauration, loisirs...) qui serait profitable à la jeunesse à la recherche d'un lieu de loisirs. Mais en premier lieu, c'est d'abord au centre commercial et à la société Gaumont que profitera le nouveau complexe, la municipalité ne bénéficiant pour le moment que des retombées fiscales.
Le problème principal que pose l'arrivée d'un tel site reste alors le devenir des trois salles du centre-ville. La municipalité est restée floue dans les perspectives d'avenir de l'Espace Lumière. Il semblerait que les trois salles, encore toutes récentes et toujours équipées des dernières innovations techniques, feraient l'objet d'un troc, passant de la gestion d'un directeur indépendant à celle du géant du cinéma français. Les édiles municipaux souhaitent que le complexe de centre-ville ne soit pas étouffer par celui du Bord des Eaux, en proposant la carte de la complémentarité : les petites salles accueillant les films plus intimistes et plus « culturels » alors que le multiplexe se réserverait les grosses productions dans un souci de rentabilité maximale.
Mais avec cette installation, Hénin va en fait sacrifier ses trois salles de centre-ville. Que faire du cinéma de centre-ville crée pourtant il y a peu et pour lequel le maire avait paradé lors d’une cérémonie des Césars, remerciant la grande famille du cinéma et l’Etat. Que faire du complexe Lumière construit avec l’argent du contribuable héninois et maintenant devenu gênant ? Très simple pour le maire aux idées simplistes : on le met dans la corbeille de la mariée en l’offrant au nouveau géant du cinéma. Mais les gérants de multiplexes qui se veulent être le soutien des petites salles de centre-ville sont aussi des industriels avant tout, et cette préoccupation semble être plutôt le baiser de Judas comme l’atteste ce qui va se passer : le directeur général de Gaumont, Jean-Louis Renoux, la main sur le cœur et la sensibilité dégoulinante affirme en avril 1999 s’être engagé de garder les salles du centre-ville « offerte en cadeau » par la municipalité pour une durée de dix ans… C’était plutôt l’affaire de dix mois. Les grands patrons n’ont décidément pas de respect pour leur engagement. Cependant, quatre ans après l’ouverture, le Gaumont héninois est victime de la concurrence et de la logique de marché. En effet, après l’entente commerciale qui se termine par une fusion spectaculaire entre Gaumont et son rival légendaire Pathé, le nouveau géant de la distribution de films se trouve en position dominante dans le bassin minier causé par le multiplexe de la firme au coq situé à Liévin. Suivant les lois en vigueur, la nouvelle société doit céder son complexe de Hénin, vendu à la SOREDIC ( Société Rennaise de Diffusion Cinématographique ), nouvelle venue dans le paysage cinématographique du Nord. En effet, comme son nom l’indique le nouveau groupe est originaire du grand-ouest, gérant depuis 1975 un parc de 74 salles dans les villes de l’ouest et oriente sa stratégie dans un développement sur tout le pays. Ainsi, le Gaumont d'Hénin-Beaumont devient dorénavant le Cinéville, alors que l'Espace Lumière redevient municipal en 2002.
Mars 2009, après dix-huit ans de vie tumultueuse, balancé entre des équipes municipales inefficaces et un complexe ayant sa propre logique, l'Espace Lumière tire sa révérence. Aujourd'hui, le site est intact, prêt à redémarrer. Mais peu à peu, le vaste édifice inoccupé va prendre lentement le chemin de l'abandon, devenant le symbole d'une ville qui dépérit.

Sources et documentation :
Archives départementales du Pas-de-Calais
Le Journal d'Hénin-Liétard [hebdomadaire héninois du début du siècle]
La Voix du Nord
Nord-Matin
Héninfos [journal municipal qui a évoquait l'arrivée du Gaumont]
Archives du C.N.C. Lille (Merci M. Tavernier !!)
Souvenirs personnels de MM Cornu et Tétin

Ce texte, et l'ensemble de l'histoire de l'exploitation cinématographique à Hénin-Beaumont publiée précédemment, a été lu lors d'une conférence organisée par l'association historique d'Hénin-Beaumont, Hennium en mai 1998. La fin est une récente mise à jour.

Commentaires

  1. très belle article sur les cinéma d'Hénin Beaumont que des souvenir , j'ai vu une multitude de films au cinéma Apollo de la place wagon ,et il possible que vous publier des photo du cinéma Apollo d'Hénin a la grande époque ainsi que ces programmes , excellent blog .

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  2. très belle article sur les cinéma d'Henin Beaumont , dire que j'ai vu une multitude de films a l'Apollo d'Henin Beaumont et de l'espace lumière ; a l'époque j'acheté des affiches au cinéma l'Apollo de la place wagon et ainsi qu'a l'espace lumière, serai t il possible de publier des photos du cinéma Apollo d'Hénin Beaumont ainsi que ces programme a la grande époque .excellent blog .

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  3. Super article, espérons que l'Espace Lumière puisse rouvrir avec une offre en Version Originale : il serait alors le seul cinéma de l'agglomération à en proposer...

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  4. Mon 1er film j'avais 16 ans en juin 1974 cela avait été le parrain (marlon Brando) au capitole Paul Rabia

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