Les noms des salles de cinéma
La magie du cinéma se fait tout d’abord grâce au nom de baptême de la salle. Les noms sont toujours beaux, clinquants, laissant place dès le début à l’imagination et au rêve. Dès le début du cinéma, on retrouve ainsi dans les dénominations des cinémas itinérants l’American Singer Cinemato, le ciné Magic, l’Imperator, le Magical Box, le Royal Major Pathé, Le Splendid Cinema, The American Viograph, The Royal Vio, etc… Tous ces noms grandiloquents allaient et venaient sur les routes de nos départements, allant de ville en ville égayer les soirées et émerveiller les spectateurs par des images scintillantes. On remarquera l'importance des noms à connotation anglo-saxonne. Avec l'installation de salles fixes, il faut dorénavant un nom porteur, accrocheur qui résume ce que l'on va trouver dans la salle. On ne compte plus alors les cinémas qui portent dans leur nom de baptême la dénomination « Familles ». C'est une des constantes dès le début des premières salles fixes : le Familia ou le cinéma des familles comme celui de Souchez, mais aussi une brasserie des Familles à Tourcoing à la Belle époque,… Dans les années 50, au plus fort de l’exploitation, il y a près de 110 salles s’appelant Cinéma des Familles, ou Family, ou Familial, ou Familiana, ou Famila. Dès l’origine de l’exploitation cinématographique, on insiste sur la cellule familiale, le cinéma voulant montrer à la communauté et aux spectateurs potentiels qu’elle propose à chaque fois un spectacle de qualité, de bon goût, idéal pour toute la famille, les petits comme les grands… De plus, bon nombre de cinémas paroissiaux appartenant à l’O.T.C.F. ont adopté ce nom de baptême pour bien ancrer leur exploitation dans un cadre familial, correct, de bon goût et visible par tous…
Outre l’appellation tournant autour du mot « famille », les noms les plus couramment utilisés pour les cinémas dans notre région sont le Palace ( 24 salles portent ce nom dans les années 50 ), le Rex, ou Rexy, ou Roxy ( 28 fois ), le Modern ( 26 fois ), le Pax ( 8 fois ), l’Apollo ( 7 fois ), le Cinéma français ( 4 fois ).
D’autres noms typiques de salle existent dans notre région : ainsi le Colisée, comme celui de Roubaix, de Loos-les-Lys, rue de l’Egalité, ou de Marcq-en-Baroeul. Est-ce un signe pour se rapprocher de la monumentalité du Colisée romain ? Même si le cinéma n’a d’ailleurs aucun rapport avec le jeu et l’argent, le Casino est un autre nom usuel et fréquent : le Casino de Roubaix, celui de Carvin, d’Arras, d’Armentières, de Bully-les-Mines, de Cassel ou de Vermelles…
Le Splendid, le Royal ou l’Exelsior sont des noms assez anciens qu’on retrouve dès les débuts du cinéma, avant même qu’il ne se sédentarise. Au début du siècle de nombreux forains pour attirer le public cherchaient des noms à consonance anglo-saxonne. On retrouvait ainsi l’Imperator, le Royal Bioscope Cinematograph, le Royal Kaleïdoscope, le Royal Major, le Splendid Cinema, The royal Excelsior, The Royal Vio, The Royal Vito, etc. Certaines salles fixes ont donc gardé une partie de ces noms, vestiges de la préhistoire du cinéma.
Il y avait aussi le Pathé et l’Omnia que l’on voit souvent sur le fronton des salles. Dès le début, la société de production Pathé projetait également des films dans différents lieux mis à sa disposition. Un grand nombre de ceux-ci étaient baptisés Omnia – Pathé, comme la première salle de Douai ou de Lille, rue Esquermoise. Des cinémas ont gardé le nom d’Omnia, tandis que la société Pathé continue d’exploiter des salles à son enseigne.
Citons aussi l’Odéon, comme celui d’Esquelbecq, qui signifie théâtre en grec. Odéon est un grand circuit de salles, plus de trois cents tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis. A ma connaissance, le circuit ne s’est pas développé en France. Le nom a pu être repris par des exploitants qui cherchaient à faire apparaître le côté prestigieux de leur salle. Le Tivoli est aussi un nom de baptême également typique donné aux salles de cinéma dans les années 50 – 60. Le Tivoli semble être à l’origine un théâtre à la française mais avec un nom à consonance italienne. On y trouve des pistes de danses, des salles de jeu et même une bibliothèque.
Le Cinéac de Lille était le nom des salles du circuit de Réginald Ford, l’ancien directeur du casino d’été de Cannes. Il s’agissait de salles d’actualités. Le premier a été installé à Montmartre et a ouvert le 2 juillet 1931. Les façades étaient pourvues d’impressionnantes enseignes lumineuses. Toutes les salles étaient décorées en bleu. Il baptisait ses cinémas du nom des grands journaux locaux avec lesquels il passait des accords. Ceux-ci en échange, lui accordaient des espaces publicitaires pour annoncer ses programmes et finançaient les enseignes au néon. Celui de Lille s’appelait donc Cinéac - Grand Echo du Nord. Il a été conçu par les architectes De Montaut et Gorska en 1937.
A Lens, une des salles se nomme le Cantin, nom donné d’ailleurs à tout le quartier ou est située cette salle. Le Cantin est un jeu du Moyen-Age, auquel on se livrait sur la place voisine et qui a donné son nom à tout le quartier.
A Oignies, un bien étrange cinéma porte le nom du Moulin fleuri. Non, les représentations ne se faisaient pas dans un ancien moulin réhabilité, mais celui-ci faisait parti de la maison des gérants de la salle toute proche et tout naturellement, le cinéma fut baptisé du nom du moulin situé dans un environnement végétal exubérant, juxtaposant la salle.
Signalons aussi l’existence d’une salle à Lys-lez-Lannoy dénommée le Carioca au n°131, rue Jules Guesde. Ce cinéma est la propriété de Mr Cannoo depuis 1935 avec le rachat de la salle de cinéma du « Trianon de la Justice » de Mr Van Poucke. Lors de ce rachat, la salle change de nom pour être baptisé Carioca, comme les habitants de Rio de Janeiro célèbres pour leurs groupes de danseurs lors du carnaval. Près du cinéma, s’ouvre un dancing peut-être un lien entre le Carioca et le dancing…
Les salles ont souvent changé de nom, baptisés, débaptisés, rebaptisés. L’évolution du nom des salles est l’affaire de ses gérants qui suivent la mode, passant de Rex à Familia, ou par le Palace. Le nom change, évolue suivant aussi l’actualité, mais le lieu reste. Le cas du cinéma de Noyelles-Godault est exemplaire avec pas moins de quatre dénominations qui témoignent des travaux, des modifications et des événements nationaux : à ses tous débuts, il s’agit de la salle paroissiale des mines de Dourges. A la fin des années trente, en pleine période du Front Populaire, la salle se transforme et devient, avec l’arrivée du parlant, le Populaire. Les années 50. Nouveaux travaux et donc nouveau nom de baptême. « Le Populaire » devient le « Cinépax ». Les décennies passent, et ce sont les années 70. Période de crise avec un nouveau changement de nom. La France découvre alors son avion supersonique, se passionne et est fier du Concorde. Qu’à cela ne tienne, le directeur de la salle Robert Millon, par soucis de publicité, fait du Cinépax, le Concorde, plaçant sa salle dans le sillage du grand oiseau blanc. Il a pourtant hésité, ayant d’abord souhaiter le rebaptiser « Le Marignan », en souvenir de la salle de sa jeunesse lorsqu’il été à Périgueux afin de servir à la caserne comme garde-magasinier.
Aujourd'hui, suivant la mode du jeunisme et du modernisme, les dénominations de salles ont évolué et les noms sont choisis avec des publicitaires afin d'avoir un nom original, chantant, qui évoque le cinéma en évitant la connotation « Cinéma de papa ». A Hénin-Beaumont, avant l'ouverture de la nouvelle salle, un concours est organisé par la municipalité afin de trouver un nouveau nom. C'est Hubert Cornu, ancien du cinéma Capitole de cette même ville qui gagne en trouvant Espace Lumière, associant ainsi l'idée de clarté, de grandeur, rappelant également les origines du cinématographe en associant le nom des inventeurs. Mais des noms témoignant des origines, puisant dans l'histoire de la salle, continuent d'exister : le cinéma des familles du Portel, le Fa Mi La de Bray-Dunes, le Modern ou l'Olympia de Templeuve, le Caméo d'Avesnes-sur-Helpe, l'Alhambra de Calais qui renoue lors de son ouverture le 23 août 2005 avec l'ancien Alhambra de cette même ville. Bien sur, de nombreux cinémas ont le nom de leur société-mère. C'est le cas des complexes qui ont, bien sur, le nom de leur propriétaire, gage certainement de qualité, comme le Gaumont de Coquelles ou de Valenciennes, la Pathé de Liévin, l'AMC de Dunkerque ou l'UGC de Lille.
Bravo Olivier pour cette intéressante étude toponymique !
RépondreSupprimerUne précision pour la chaîne Cinéac, et le premier ouvert à Paris : il n'était pas situé proprement dit à Montmartre, mais en fait rue du Faubourg-Montmartre, au n°15, près des Grands Boulevards. Il a fini sa carrière le 21 juillet 1986, sous le nom de "Bergère-Midi Minuit"...
Amicalement
Philippe